Gadi Taj Ndahumba, Conseiller juridique à l’Etablissement africain de soutien juridique
Avec l’arrivée à maturité de systèmes de stockage d’électricité, les
fondements des systèmes énergétiques conventionnels sont remis en
question. Cela ouvre aux entreprises qui fournissent l’énergie et aux
entrepreneurs africains une opportunité unique de mener la
transformation de ce secteur.
Selon le modèle traditionnel, les entreprises fournisseuses d’énergie
ont généralement cherché à obtenir des sources d’énergie constantes qui
produisent au moins la quantité minimum indiquée par leur courbe de
demande (la charge de base). L’utilisation exclusive d’énergies
renouvelables, telles l’énergie éolienne ou l’énergie solaire,
compliquerait ce mode de gestion, car la production d’électricité
fluctuerait constamment, à l’échelle de l’heure, de la journée, et même
de la saison. Le stockage d’énergie, au contraire, facilite un recours
plus étendu aux sources renouvelables.
Au-delà du risque de ne pas avoir assez d’énergie pendant les périodes
de pointe, la variabilité de la production énergétique pose des
problèmes techniques. Un équilibre optimal entre la demande et la
fourniture d’électricité (la fréquence du système) est essentiel pour
préserver l’intégrité du réseau. Et la fréquence du système est beaucoup
plus difficile à réguler avec des sources d’énergie intermittentes.
Les producteurs d’énergie solaire ont activement cherché des moyens de
limiter l’impact de la fluctuation de leur production en développant des
batteries plus performantes. Aujourd’hui, ces batteries peuvent stocker
de l’énergie jusqu’à une demi-journée avec une perte d’énergie limitée.
Elles peuvent également libérer de l’électricité presque instantanément
lorsque la consommation augmente. Même les parcs éoliens, qui n’étaient
traditionnellement pas équipés de systèmes de stockage, ont récemment
commencé à inclure des batteries afin d’atténuer les problèmes de
production de l’énergie éolienne liés à la prévisibilité, la fréquence
et le contrôle de la montée en énergie.
Malheureusement, aujourd’hui, le stockage de l’électricité n’est surtout
discuté que lorsqu’il s’agit de choisir la batterie qui équipera une
installation particulière de production d’énergie renouvelable, en
particulier en Afrique. Il est rarement présenté comme un projet en soi,
qui permettrait d’améliorer la stabilité, la fiabilité et la résilience
du réseau. La diversité des technologies de stockage de l’électricité
et les avantages de chacune d’entre elle sont donc souvent négligés.
D’abord, elles en sont à des stades de développement et de maturité industrielle différents (figure 1).
Figure 1 : Maturité des technologies de stockage d’énergie
(Source: International Energy Agency – Energy Storage Technology Roadmap
Report, OECD/IEA (2014))
Ensuite, beaucoup d’entre elles ont des capacités et des durées de
décharge différentes, ce qui leur permettra de contribuer de diverses
façons à l’optimisation de la production d’électricité globale (figure
2).
Figure 2 : Puissance nécessaire en fonction de la durée de
décharge (Source: International Energy Agency – Energy Storage
Technology Roadmap Report, OECD/IEA (2014))
L’intégration de certaines de ces technologies dans un réseau
déterminera sa capacité totale de stockage avec, potentiellement, une
réponse rapide et une production sans émissions d’une part, et une
capacité de stockage saisonnier d’autre part. Les dispositifs de
stockage seront chargés ou déchargés en fonction de l’augmentation ou de
la diminution de la fréquence du système, pour le maintenir dans les
limites préétablies tout en réduisant la perte du surplus d’énergie
généré pendant les pointes de production. En outre, cela fournira une
résilience énergétique, aspect qui devient particulièrement important
avec l’accroissement de l’instabilité des conditions météorologiques.
Ainsi, le potentiel de ces technologies laisse peu de doute qu’au moins
certaines d’entre elles deviendront des outils essentiels dans la
conception et l’amélioration de tous les réseaux électriques.
Mais alors, pourquoi les technologies de stockage d’énergie
devraient-elles être plus importantes en Afrique subsaharienne
qu’ailleurs ? Parce qu’elles permettront aux entreprises fournisseuses
d’électricité de repenser leur approche de la charge de base à un moment
essentiel dans le déploiement de leur réseau.
Confrontés à un déficit énergétique décourageant, les fournisseurs
africains ont fortement tendance à se concentrer sur les projets
d’énergie de base qui ont le potentiel d’augmenter considérablement la
capacité globale de leurs réseaux. Sauf pour les projets
hydroélectriques, cette approche exclut généralement la plupart des
énergies renouvelables et implique des projets à forte intensité de
capital. Cependant, dans le contexte africain, le simple coût d’une
centrale électrique traditionnelle présente des défis importants lors de
la recherche de financement. De plus, le faible taux de connectivité au
réseau fait qu’il est difficile de prouver qu’il y aura une demande
capable d’absorber une augmentation de capacité aussi importante,
aggravant d’autres problèmes de rentabilité déjà existants. Par
conséquent, il n’est pas facile de réaliser un tour de table financier.
Et chaque échec est un recul important pour un pays dans son progrès
vers l’autonomie énergétique.
Les projets d’énergie renouvelable, plus petits et plus flexibles, sont
plus faciles à financer. Ils peuvent aussi fournir aux réseaux peu
développés des augmentations progressives de la capacité
d’approvisionnement qui suivront de plus près la croissance de la
demande. Les solutions de stockage d’énergie ont donc le potentiel de
changer la dynamique actuelle en transformant les projets d’énergie
renouvelable en unités de production d’énergie de base. Cela permettrait
par conséquent d’accélérer le développement de la capacité de
production d’énergie de nombreux pays africains. Cela ouvrira le marché
pour les projets d’énergie renouvelable en Afrique davantage que partout
ailleurs car la plupart des réseaux y sont encore peu développés.
C’est vrai, plusieurs technologies de stockage d’électricité sont encore
trop coûteuses pour être viables, et d’autres auront besoin de temps
avant d’être commercialisées. Cependant, comme cela s’est produit pour
les énergies renouvelables, le coût de bon nombre de ces technologies
devrait diminuer rapidement grâce à la concurrence dans l’innovation et
aux économies d’échelle. Les technologies de stockage de l’énergie
seront au centre de la transformation de nos marchés de l’énergie, et
elles constituent une opportunité exceptionnelle pour les réseaux
électriques en phase de démarrage d’ouvrir la voie vers des systèmes
énergétiques entièrement optimisés. Cela permettra aux fournisseurs
africains d’utiliser un plus grand nombre de sources d’énergie et
d’améliorer significativement l’efficacité de leur production
d’électricité.